On pourrait dire que ce sont les circonstances qui m’ont poussé à quitter mon foyer – si j’étais resté, je serais certainement mort. À cette époque – où je courais sans savoir pourquoi, porteur d’un fardeau que je ne comprenais pas – je supposais que j’allais me perdre à Khlennium et que je chercherais une vie ordinaire.

Je comprends peu à peu que l’anonymat fait partie des nombreuses choses que j’ai perdues à jamais.

 

18

 

Elle décida de porter la robe rouge. C’était de loin le choix le plus hardi, mais il lui semblait adéquat. Après tout, elle dissimulait sa véritable personnalité derrière une apparence aristocratique ; plus cette apparence était visible, plus il lui serait facile de se cacher.

Un valet de pied ouvrit la portière de la voiture. Vin inspira profondément – la poitrine un peu comprimée par le corset spécial qu’elle portait afin de cacher ses pansements – puis accepta la main du valet pour descendre. Elle lissa sa robe, adressa un signe de tête à Sazed, puis rejoignit les autres aristocrates qui montaient les marches en direction du Bastion Elariel. Il était un peu plus petit que celui de la Maison Venture. Toutefois, il possédait apparemment une salle de bal séparée, alors que la Maison Venture organisait ses réceptions dans sa grande salle aux proportions immenses.

Vin regarda les autres nobles et sentit s’évanouir un peu de sa confiance. Sa robe était splendide, mais les autres femmes possédaient tellement plus que ça. Leurs longs cheveux flottants et leur assurance n’avaient d’égal que l’élégance de leurs silhouettes couvertes de bijoux. Elles remplissaient le haut de leurs robes avec des courbes voluptueuses, et se déplaçaient élégamment dans la splendeur froufroutante des plis inférieurs. Vin apercevait parfois leurs pieds, qui n’étaient pas chaussés de simples mules comme les siennes, mais de chaussures à talons.

— Pourquoi est-ce que je n’ai pas ce genre de chaussures ? demanda-t-elle tout bas tandis qu’ils gravissaient les marches recouvertes d’un tapis.

— Marcher avec des talons demande de la pratique, Maîtresse, répliqua Sazed. Comme vous venez à peine d’apprendre à danser, il vaudrait peut-être mieux que vous portiez des chaussures ordinaires quelque temps.

Vin fronça les sourcils mais accepta cette explication. Cependant, entendre Sazed parler de la danse accrut son inconfort. Elle se rappelait l’aisance et la grâce des danseurs de son premier bal. Elle ne parviendrait jamais à les imiter – elle connaissait à peine les pas les plus basiques.

Mais ça n’aura aucune importance, se dit-elle. Ce n’est pas moi qu’ils verront – ce sera lady Valette. C’est censé être une débutante encore hésitante, et tout le monde croit qu’elle a été malade récemment. Ce sera logique qu’elle ne sache pas très bien danser.

Avec cette pensée en tête, Vin se sentit un peu plus sûre d’elle-même lorsqu’elle atteignit le haut des marches.

— Je dois dire, Maîtresse, déclara Sazed, que vous paraissez bien moins nerveuse cette fois-ci – en fait, vous semblez même surexcitée. C’est effectivement l’attitude que Valette devrait afficher, je crois.

— Merci, dit-elle en souriant.

Il avait raison elle était bel et bien surexcitée. De participer de nouveau à la mission – et même de se trouver de nouveau parmi les nobles, avec leur splendeur et leur grâce.

Ils montèrent jusqu’au bâtiment trapu qui renfermait la salle de bal – l’une des ailes basses qui prolongeaient le bastion principal – et un serviteur lui prit son châle. Vin s’arrêta un instant sur le pas de la porte en attendant que Sazed aille tout arranger pour sa table et son repas.

La salle de bal des Elariel était très différente de la grande salle des Venture. Cette pièce sombre ne comportait qu’un étage et, bien qu’elle possède des vitraux en grand nombre, ils se trouvaient tous au plafond. Des lucarnes circulaires ornées de rosaces brillaient en hauteur et la pièce baignait dans une obscurité feutrée. Elle donnait une impression… d’intimité, malgré la foule.

Cette pièce avait manifestement été conçue pour accueillir des fêtes. Une piste de danse en occupait le centre en contrebas, mieux éclairée que le reste de la pièce. Des tables réparties sur deux niveaux encerclaient la piste. Le premier ne la surplombait que de deux mètres, l’autre d’environ deux fois cette hauteur.

Un serviteur la conduisit vers une table en bordure de la pièce. Elle s’y assit tandis que Sazed prenait sa place habituelle près d’elle, et elle se mit à attendre qu’on lui serve son repas.

— Comment est-ce que je suis censée obtenir les informations dont Kelsier a besoin ? demanda-t-elle tout bas, tout en balayant la pièce obscure du regard.

Les couleurs soutenues et translucides provenant d’en haut projetaient des motifs sur les tables et les gens, ce qui créait une atmosphère impressionnante, mais il devenait difficile de distinguer les visages. Elend se trouvait-il là, quelque part, parmi les participants ?

— Ce soir, quelques hommes devraient vous inviter à danser, dit Sazed. Acceptez leur invitation ça vous donnera une excuse pour aller les trouver plus tard et vous mêler à leurs groupes. Vous n’aurez pas besoin de participer aux conversations – simplement d’écouter. Aux prochains bals, peut-être que certains de ces jeunes hommes commenceront à vous demander de les accompagner. Alors, vous pourrez vous asseoir à leur table et écouter toutes leurs discussions.

— Vous voulez dire m’asseoir avec un homme pendant tout ce temps ?

Sazed hocha la tête.

— C’est assez fréquent. Et vous ne danseriez qu’avec lui ce soir-là.

Vin fronça les sourcils. Mais au lieu de poursuivre, elle se retourna pour inspecter de nouveau la pièce. Il n’est peut-être même pas ici – il m’a dit qu’il évitait les bals quand il le pouvait Même s’il était ici, il serait seul. Tu ne vas même pas…

Un choc sourd retentit tandis que quelqu’un laissait tomber une pile de livres sur sa table. Vin sursauta, surprise, et se retourna pour voir Elend Venture tirer une chaise puis s’asseoir avec une posture détendue. Il se laissa aller sur son siège, tourné vers un candélabre posé sur la table, et ouvrit un livre pour se mettre à lire.

Sazed fronça les sourcils. Vin cacha un sourire tout en lorgnant Elend. Il ne paraissait toujours pas avoir pris la peine de se brosser les cheveux et il portait cette fois encore sa chemise déboutonnée. Sans être miteuse, sa tenue était moins riche que celle des autres participants. Elle semblait taillée pour être ample et décontractée défiant ainsi la traditionnelle élégance des costumes bien taillés à la mode.

Elend feuilleta son livre. Vin attendit patiemment qu’il fasse mine de remarquer sa présence, mais il continua simplement sa lecture. Enfin, Vin haussa un sourcil.

— Je ne me rappelle pas vous avoir autorisé à vous asseoir à ma table, lord Venture, déclara-t-elle.

— Ne faites pas attention à moi, répondit-il sans lever les yeux. Vous avez une grande table – il y a largement la place pour nous deux.

— Pour nous deux, peut-être, répondit-elle. Mais pour ces livres je n’en suis pas si sûre. Où les serviteurs vont-ils poser mon repas ?

— Il y a un peu d’espace sur votre gauche, répondit-il avec désinvolture.

Sazed se renfrogna encore davantage. Il s’avança, rassembla les livres et les posa par terre près de la chaise d’Elend.

Ce dernier continuait à lire. Il leva toutefois la main pour lui adresser un signe.

— Vous voyez, c’est pour cette raison que je n’emploie jamais de serviteurs terrisiens. Ils sont d’une insupportable efficacité.

— Sazed n’a rien d’insupportable, répondit froidement Vin. C’est un bon ami et sans doute un meilleur homme que vous ne le serez jamais, lord Venture.

Elend leva enfin les yeux.

— Je suis… désolé, dit-il avec franchise. Je vous présente mes excuses.

Vin hocha la tête. Mais Elend rouvrit son livre et reprit sa lecture.

Pourquoi s’asseoir avec moi s’il compte seulement lire ?

— Que faisiez-vous lors de ces fêtes avant que j’arrive pour que vous puissiez me harceler ? demanda-t-elle d’un ton agacé.

— Eh bien, voyez, comment pourrais-je vous harceler ? protesta-t-il. Enfin franchement, Valette. Je suis simplement assis ici, en train de lire en silence.

— À ma table. Je suis sûre que vous pourriez trouver la vôtre – vous êtes l’héritier Venture. Non que vous me l’ayez annoncé ouvertement lors de notre dernière rencontre.

— C’est vrai, répondit Elend. Mais je me rappelle nettement, en revanche, vous avoir dit que les Venture étaient passablement ennuyeux. Je cherche simplement à me montrer à la hauteur de cette description.

— C’est vous qui l’avez faite !

— C’est bien pratique, répondit Elend, qui continua à lire tout en souriant.

Vin soupira de frustration et lui lança un regard mauvais. Elend lui jeta un coup d’œil par-dessus son livre.

— Cette robe est superbe. Presque aussi belle que vous.

Vin s’immobilisa, la mâchoire légèrement entrouverte. Elend sourit d’un air espiègle puis se replongea dans son livre, les yeux pétillants comme pour indiquer qu’il n’avait fait ce commentaire que parce qu’il savait quelle réaction il provoquerait.

Debout près de la table, Sazed ne prit pas la peine de masquer sa désapprobation. Mais il ne disait rien. Elend était manifestement trop important pour se faire réprimander par un simple intendant.

Vin retrouva enfin sa langue.

— Comment se fait-il, lord Venture, qu’un bon parti comme vous vienne seul à ces bals ?

— Oh, ce n’est pas le cas, répondit-il. En général, ma famille déniche toujours une fille pour m’accompagner. La candidate de ce soir est lady Stase Blanches – c’est elle qui est assise sur le gradin le plus bas en face de nous, avec la robe verte.

Vin regarda de l’autre côté de la pièce. Lady Blanches était une blonde splendide. Elle lançait constamment des coups d’œil à la table de Vin en masquant sa mine renfrognée.

Vin rougit et se détourna.

— Hum, ne devriez-vous pas lui tenir compagnie là-bas ?

— Sans doute, répondit Elend. Mais, voyez, je vais vous confier un secret. En réalité, je suis tout sauf galant. Par ailleurs, ce n’est pas moi qui l’ai invitée – ce n’est qu’une fois monté dans la voiture que l’on m’a informé de l’identité de mon accompagnatrice.

— Je vois, répondit Vin d’un air désapprobateur.

— Mon comportement, toutefois, est déplorable. Malheureusement, je suis fréquemment sujet à ces accès de déplorabilité – prenez par exemple mon goût pour la lecture à la table du dîner. Veuillez m’excuser un instant ; je vais me chercher à boire.

Il se leva, fourrant le livre dans sa poche, et se dirigea vers l’une des tables de service de la pièce. Vin le regarda s’éloigner, à la fois contrariée et amusée.

— Je n’aime pas ça, Maîtresse, dit Sazed tout bas.

— Il n’est pas si terrible que ça.

— Il se sert de vous, Maîtresse, poursuivit Sazed. Lord Venture est tristement célèbre pour son attitude non conformiste et sa désobéissance. Beaucoup de gens ne l’apprécient guère – précisément parce qu’il fait ce genre de choses.

— Ce genre ?

— Il s’assied avec vous car il sait qu’il va ainsi contrarier sa famille, dit Sazed. Oh, mon enfant – je ne souhaite pas vous peiner mais vous devez comprendre le fonctionnement de la cour. Ce jeune homme n’éprouve aucun intérêt romantique à votre égard. C’est un jeune lord arrogant qui s’irrite des restrictions de son père – si bien qu’il se rebelle et adopte des comportements provocateurs. Il sait que son père cédera s’il joue assez longtemps les enfants gâtés.

Vin sentit son estomac se nouer. Sazed doit avoir raison, bien sûr. Pour quelle autre raison est-ce qu’Elend chercherait ma compagnie ? Je suis exactement ce dont il a besoin – quelqu’un d’assez basse naissance pour contrarier son père, mais d’assez peu d’expérience pour ne pas voir la vérité.

On lui servit son repas, mais Vin n’avait plus guère d’appétit. Elle commença à chipoter lorsque Elend revint et s’assit avec un grand gobelet rempli de quelque boisson. Il la dégusta tout en lisant.

Voyons comment il va réagir si j’interromps sa lecture, se dit Vin contrariée, se rappelant ses leçons et mangeant avec la grâce d’une dame. Le repas n’était guère copieux – il s’agissait essentiellement de légumes au beurre – et plus tôt elle en aurait terminé, plus vite elle pourrait aller danser. Au moins, elle ne serait plus obligée de rester assise en compagnie d’Elend Venture.

Le jeune lord s’interrompit plusieurs fois tandis qu’elle mangeait pour lui jeter des coups d’œil par-dessus son livre. Il attendait visiblement qu’elle dise quelque chose, mais elle n’en fit jamais rien. Cependant, tandis qu’elle mangeait, sa colère se dissipa. Elle regarda Elend, étudiant son apparence légèrement débraillée, l’intérêt avec lequel il lisait son livre. Cet homme pouvait-il vraiment cacher le sens tordu de la manipulation que lui prêtait Sazed ? Se servait-il simplement d’elle ?

N’importe qui te trahira, chuchota Reen. Tout le monde te trahira.

Elend paraissait simplement si… sincère. Il paraissait être une véritable personne, pas une façade ou une couverture. Et il paraissait réellement avoir envie qu’elle lui parle. Vin eut l’impression d’une victoire personnelle lorsqu’il reposa enfin son livre pour la regarder.

— Pourquoi êtes-vous ici, Valette ? demanda-t-il.

— Ici, à cette fête ?

— Non, à Luthadel.

— Parce que c’est le centre de tout, répondit Vin.

Elend fronça les sourcils.

— Sans doute. Mais l’empire est un endroit trop grand pour posséder un si petit centre. Je ne crois pas que nous comprenions réellement à quel point il est grand. Combien de temps vous a-t-il fallu pour arriver ici ?

Vin éprouva un moment de panique, mais les leçons de Sazed lui revinrent très vite.

— Près de deux mois par les canaux, avec quelques étapes.

— C’est très long, répondit Elend. On dit qu’il peut falloir la moitié d’un an pour voyager d’un bout à l’autre de l’empire, mais que la plupart d’entre nous ignorent tout ce qui n’est pas cette minuscule partie en son centre.

— Je…

Vin laissa sa phrase en suspens. Avec Reen, elle avait traversé l’ensemble du Dominât Central. C’était cependant le plus petit des dominais et elle n’avait jamais visité les endroits les plus exotiques de l’empire. Cette zone centrale était favorable aux voleurs ; curieusement, l’endroit le plus proche du Seigneur Maître était celui qui recelait le plus de corruption, mais aussi le plus de richesses.

— Alors que pensez-vous de la ville ? demanda Elend.

Vin hésita.

— Elle est… sale, dit-elle en toute franchise. (À la faible lumière, un serviteur arriva pour retirer son assiette vide.) Elle est sale, et bondée. Les skaa y sont atrocement mal traités, mais j’imagine que c’est le cas partout.

Elend pencha la tête et la regarda bizarrement.

Je n’aurais pas dû parler des skaa. Ça ne fait pas très noble.

Il se pencha en avant.

— Vous croyez qu’ils sont plus mal traités ici que dans votre plantation ? J’ai toujours cru qu’ils étaient mieux lotis en ville.

— Hum… Je ne sais pas trop. Je n’allais pas souvent dans les champs.

— Donc vous n’aviez pas beaucoup de contacts avec eux ?

Vin haussa les épaules.

— Quelle importance ? Ce ne sont que des skaa.

— Eh bien, voyez, c’est ce que nous disons toujours, répondit Elend. Mais je n’en sais rien. Peut-être que je suis trop curieux, mais ils m’intéressent. Les avez-vous déjà entendus se parler entre eux ? Parlaient-ils comme des gens ordinaires ?

— Quoi ? demanda Vin. Évidemment. Comment voudriez-vous qu’ils parlent ?

— Eh bien, vous savez ce qu’enseigne le Ministère.

Elle l’ignorait. Mais s’il était question des skaa, ça ne devait pas être très flatteur.

— J’ai pour principe de ne jamais croire aveuglément tout ce que raconte le Ministère.

Elend marqua une nouvelle pause, tête penchée.

— Vous n’êtes… pas conforme à mes attentes, lady Valette.

— Les gens le sont rarement.

— Donc, parlez-moi des skaa des plantations. À quoi ressemblent-ils ?

Vin haussa les épaules.

— À tous les skaa qu’on rencontre ailleurs.

— Sont-ils intelligents ?

— Certains le sont.

— Mais pas comme vous et moi, n’est-ce pas ?

Vin hésita. Comment répondrait une noble ?

— Non, évidemment. Ce ne sont que des skaa. Pourquoi vous intéressent-ils autant ?

Elend parut… déçu.

— Pour aucune raison en particulier, dit-il en se laissant aller sur son siège et en ouvrant son livre. Je crois que certains de ces hommes, là-bas, veulent vous inviter à danser.

Vin se retourna et remarqua qu’un groupe de jeunes gens se tenait effectivement près de sa table. Ils détournèrent le regard dès qu’elle se tourna vers eux. Au bout de quelques instants, l’un des hommes désigna une autre table ; puis il s’en approcha et invita une demoiselle à danser.

— Plusieurs personnes vous ont remarquée, milady, déclara Sazed. Cependant, elles n’approchent jamais. Je crois que la présence de lord Venture les intimide.

Elend ricana.

— Ils devraient savoir que je suis tout sauf intimidant.

Vin fronça les sourcils, mais Elend poursuivit sa lecture. Très bien ! se dit-elle en se retournant vers les jeunes gens. Elle croisa le regard de l’un d’entre eux et lui sourit légèrement.

Quelques instants plus tard, il approcha. Il lui parla sur un ton formel et guindé.

— Lady Renoux, je suis lord Melend Liese. Accepteriez-vous de danser ?

Vin jeta un coup d’œil à Elend, mais il ne leva pas le nez de son livre.

— J’aimerais beaucoup, lord Liese, répondit-elle en prenant la main du jeune homme avant de se lever.

Il la conduisit vers la piste de danse et elle sentit la nervosité la regagner à mesure qu’ils en approchaient. Soudain, cette semaine d’entraînement ne lui paraissait plus suffisante. La musique s’arrêta, ce qui permit aux couples de quitter la piste ou d’y entrer, et lord Liese l’y conduisit.

Vin lutta contre sa paranoïa en se rappelant que c’étaient sa robe et son rang qu’ils voyaient, et non pas elle-même. Elle leva les yeux pour croiser ceux de lord Liese et y lut, à sa grande surprise, de l’appréhension.

La musique commença, ainsi que la danse. Le visage de lord Liese prit une expression consternée. Elle sentait sa paume transpirer dans ses mains. Eh bien, il est aussi nerveux que moi ! Peut-être même encore plus.

Liese était plus jeune qu’Elend, plus proche de l’âge de Vin ; Il ne devait pas avoir une grande expérience des bals – il ne donnait pas l’impression d’avoir déjà beaucoup dansé. Il se concentrait tellement sur ses pas qu’il bougeait avec raideur.

C’est logique, comprit Vin, qui se détendit et laissa son corps adopter les mouvements que Sazed lui avait enseignés. Ceux qui ont de l’expérience ne m’inviteraient pas à danser, pas alors que je suis nouvelle. Ils ne me remarquent même pas.

Mais pourquoi Elend s’intéresse-t-il à moi ? Est-ce simplement un stratagème pour contrarier son père comme le pensait Sazed ? Dans ce cas, pourquoi paraît-il s’intéresser à ce que je peux avoir à dire ?

— Lord Liese, dit Vin. Connaissez-vous bien Elend Venture ?

Liese leva les yeux.

— Hum, je…

— Ne vous concentrez pas tant sur la danse, dit Vin. D’après mon professeur, les gestes viendront naturellement si on n’y réfléchit pas trop.

Il rougit.

Seigneur Maître ! songea Vin. Ce garçon n’est jamais sorti de chez lui ?

— Hum, lord Venture…, répondit Liese. Je ne sais pas. C’est quelqu’un de très important. Beaucoup plus que moi.

— Ne vous laissez pas intimider par son ascendance, répondit Vin. D’après ce que j’ai vu, il est plutôt inoffensif.

— Je n’en sais rien, milady, dit Liese. Venture est une maison de grande influence.

— Oui, eh bien, Elend ne correspond pas à cette réputation. Il paraît beaucoup apprécier d’ignorer les gens en compagnie desquels il se trouve – est-ce qu’il fait ça à tout le monde ?

Liese haussa les épaules. Il dansait avec plus d’aisance à présent qu’ils parlaient.

— Je n’en sais rien. Vous… paraissez le connaître mieux que moi, milady.

— Je…

Vin s’interrompit. Elle avait effectivement l’impression de bien le connaître – bien mieux qu’elle n’aurait dû connaître un homme après deux brèves rencontres. Cependant, elle se voyait mal l’expliquer à Liese.

Mais peut-être que… Renoux ne disait-il pas avoir rencontré Elend à une occasion ?

— Oh, Elend est un ami de la famille, dit-elle tandis qu’ils tournoyaient sous une lucarne translucide.

— Ah bon ?

— Oui, répondit Vin. C’était très gentil à mon oncle de demander à Elend de me surveiller lors de ces fêtes, et jusqu’ici, il a été tout à fait charmant. Je regrette simplement qu’il n’accorde pas moins d’attention à ses livres et davantage à me présenter.

Liese s’anima et il parut un peu moins mal à l’aise.

— Ah. Eh bien, je comprends mieux.

— Oui, dit Vin. Elend a été comme un frère aîné pour moi depuis que je me trouve à Luthadel.

Liese sourit.

— Je vous interroge à son sujet car il ne parle pas beaucoup de lui-même, ajouta Vin.

— Tous les Venture ont été très discrets ces derniers temps, répondit Liese. Depuis l’attaque contre leur bastion il y a quelques mois.

Vin hocha la tête.

— Vous en savez beaucoup sur le sujet ?

Liese fit signe que non.

— Personne ne me dit rien. (Il baissa les yeux, observant leurs pieds.) Vous êtes très douée pour la danse, lady Renoux. Vous avez dû participer à de nombreux bals dans votre ville d’origine.

— Vous me flattez, milord, répondit Vin.

— Non, je suis sincère. Vous êtes tellement… gracieuse.

Vin sourit, envahie par une légère bouffée de confiance.

— Oui, dit Liese, presque pour lui-même. Vous n’êtes pas du tout comme le disait lady Shan…

Il s’interrompit, sursautant légèrement, comme s’il se rendait compte de ce qu’il était en train de dire.

— Pardon ? dit Vin.

— Rien, répondit Liese en s’empourprant. Je suis désolé. Ce n’était rien.

Lady Shan, songea Vin. Rappelle-toi ce nom.

Elle tenta de le faire parler davantage tandis que la danse se poursuivait, mais il était visiblement trop novice pour en savoir beaucoup. Il avait le sentiment d’une tension croissante entre les maisons ; bien que les bals continuent, il y avait de plus en plus d’absents car les gens cessaient d’assister aux bals donnés par leurs rivaux en politique.

Quand la danse prit fin, Vin était satisfaite de ses efforts. Elle n’avait sans doute pas découvert grand-chose d’utile pour Kelsier – mais Liese n’était qu’un début. Elle progresserait jusqu’à des gens plus importants.

Ce qui signifie, se dit-elle tandis qu’il la raccompagnait à sa table, que je vais devoir assister à beaucoup d’autres bals. Non que ce soit désagréable en soi – surtout maintenant qu’elle dansait avec davantage d’assurance. Mais davantage de bals, cela signifiait moins d’occasions de sortir dans les brumes.

Ce n’est pas comme si Sazed me laissait sortir, de toute façon, songea-t-elle en soupirant intérieurement, souriant poliment tandis que Liese s’inclinait puis se retirait.

Elend avait déployé ses livres sur toute la table, et l’alcôve était éclairée par plusieurs nouveaux candélabres – apparemment dérobés sur d’autres tables.

Eh bien, se dit Vin, au moins nous avons le chapardage en commun.

Elend se tenait voûté par-dessus la table, griffonnant des notes dans un petit livre de la taille de sa poche. Il ne leva pas les yeux lorsqu’elle s’assit. Sazed, remarqua-t-elle, n’était plus dans les parages.

— J’ai envoyé le Terrisien dîner, lança Elend d’un air distrait tout en griffonnant. Inutile qu’il meure de faim pendant que vous tourbillonniez en bas.

Vin haussa un sourcil, lorgnant les livres qui monopolisaient le dessus de table. Elend en poussa un de côté – qu’il laissa ouvert à une page bien précise – et en tira un autre.

— Alors, comment s’est déroulé le tourbillonnage en question ? demanda-t-il.

— C’était très amusant, en fait.

— Je croyais que vous n’étiez pas très douée pour ça.

— En effet, répondit Vin. Mais je me suis entraînée. Cette information vous surprendra sans doute, mais lire des livres dans le noir au fond d’une pièce n’aide pas à devenir un meilleur danseur.

— Est-ce une proposition ? demanda Elend, repoussant son livre pour en choisir un autre. Vous savez, ce n’est pas très distingué d’inviter un homme à danser.

— Oh, je ne voudrais pas vous distraire de vos lectures, répondit Vin en retournant un des livres vers elle. (Elle grimaça – il était couvert d’une petite écriture en pattes de mouche.) Et puis danser avec vous saperait tout le travail que je viens d’accomplir.

Elend marqua une pause. Puis il leva enfin les yeux.

— Le travail ?

— Oui, dit Vin. Sazed avait raison : Liese vous trouve intimidant, et il ma donc trouvée intimidante par association. Il pourrait être désastreux pour la vie sociale d’une demoiselle que tous les hommes la supposent indisponible simplement parce qu’un lord agaçant décide d’étudier à sa table.

— Alors…, répondit Elend.

— Alors je lui ai dit que vous me montriez simplement les coutumes de la cour. Un peu comme… un frère aîné.

— Un frère aîné ? répéta Elend en fronçant les sourcils.

— Nettement plus âgé, dit Vin en souriant. Enfin, vous devez avoir au moins deux fois mon âge.

— Deux fois votre… Valette, j’ai vingt et un ans. À moins que vous ne soyez une fillette de dix ans particulièrement mûre, je suis loin d’avoir « deux fois votre âge ».

— Je n’ai jamais été très douée pour les mathématiques, répondit-elle, désinvolte.

Elend soupira, levant les yeux au ciel. Non loin de là, lord Liese s’entretenait tranquillement avec un groupe d’amis, désignant Vin et Elend. Avec un peu de chance, l’un d’entre eux viendrait bientôt l’inviter à danser.

— Connaissez-vous une certaine lady Shan ? demanda Vin sur un ton badin tandis qu’elle patientait.

À sa grande surprise, elle vit Elend lever les yeux.

— Shan Elariel ?

— Sans doute, répondit Vin. Qui est-ce ?

Elend se replongea dans son livre.

— Personne d’important.

Vin haussa un sourcil.

— Elend, je ne fais ça que depuis quelques mois, mais même moi, je sais qu’il ne faut jamais se fier à ce genre de commentaire.

— Eh bien…, répondit Elend. Il se pourrait que je lui sois fiancé.

— Vous avez une fiancée ? demanda Vin, exaspérée.

— Je ne sais pas trop. Nous n’avons pas vraiment fait quoi que ce soit à ce sujet depuis un an à peu près. Tout le monde doit avoir oublié cette histoire à présent.

Génial, songea Vin.

L’instant d’après, l’un des amis de Liese s’approcha. Ravie d’être débarrassée de cet héritier Venture si frustrant, Vin se leva et accepta la main du jeune lord. Tandis qu’elle se dirigeait vers la piste de danse, elle jeta un coup d’œil à Elend et le surprit à la regarder par-dessus son livre. Il se replongea aussitôt dans ses recherches avec un air d’indifférence appuyé.

 

Vin s’assit à sa table, éprouvant une impression d’épuisement extrême. Elle résista à l’envie irrépressible de retirer ses chaussures pour se masser les pieds ; elle supposait que ce ne serait pas très distingué. Elle activa doucement son cuivre puis brûla du potin, renforçant son corps et chassant une partie de sa fatigue.

Elle laissa son potin, puis son cuivre, se dissiper. Kelsier lui avait assuré qu’avec son cuivre activé on ne pourrait pas remarquer qu’elle utilisait l’allomancie. Quand elle brûlait du potin, ses réactions étaient trop rapides, son corps trop puissant. Il lui semblait qu’un observateur attentif serait en mesure de remarquer ces incohérences, qu’il soit ou non allomancien lui-même.

Sans le potin, la fatigue revint. Ces derniers temps, elle avait tenté de réapprendre à ne plus y recourir constamment. Sa blessure avait guéri au point où elle ne lui faisait réellement mal que si elle se tortillait d’une certaine façon, et elle voulait retrouver ses forces par elle-même, dans la mesure du possible.

D’une certaine façon, sa fatigue de ce soir-là était une bonne chose – c’était le résultat d’un moment prolongé passé à danser. À présent que les jeunes hommes considéraient Elend comme un gardien, plutôt que comme un prétendant, ils n’avaient plus le moindre scrupule à inviter Vin. Et de crainte de faire un choix politique en refusant, elle avait accepté chaque demande. Quelques mois plus tôt, elle aurait éclaté de rire à l’idée d’être épuisée par la danse. Mais à présent, ses pieds et son flanc douloureux ainsi que ses jambes fatiguées n’étaient qu’une partie du problème. L’effort nécessaire pour mémoriser les noms et les maisons – sans parler de supporter la conversation inepte de ses partenaires – l’avait vidée mentalement.

C’est une bonne chose que Sazed me fasse porter des mules plutôt que des talons, songea-t-elle en soupirant tout en buvant son jus de fruits frais. Le Terrisien n’était pas encore revenu de son dîner. Fait intéressant, Elend non plus ne se trouvait pas à la table – bien que ses livres y soient toujours éparpillés.

Vin leur jeta un coup d’œil. Peut-être que si elle paraissait lire, les jeunes gens la laisseraient tranquille un moment. Elle les feuilleta rapidement en quête d’un candidat plausible. Celui qui l’intéressait le plus – le petit carnet d’Elend relié de cuir – ne se trouvait pas là.

Elle choisit donc plutôt un tome bleu volumineux qu’elle emporta de son côté de la table. Elle l’avait choisie pour la taille de ses caractères – le papier était-il donc si cher que les scribes se sentent obligés de fourrer le maximum de lignes sur une seule page ? Vin soupira tout en parcourant le volume.

Je n’arrive pas à croire que les gens lisent des livres si gros, se dit-elle. Malgré la grande taille des caractères, chaque page paraissait étouffée par les mots. Il lui faudrait des jours entiers pour le lire en totalité. Reen lui avait appris à lire pour qu’elle soit en mesure de déchiffrer les contrats, et peut-être de jouer le rôle d’une noble. Mais sa formation ne s’était pas étendue à des textes aussi volumineux.

Pratiques historiques du gouvernement impérial, annonçait la première page. Les chapitres portaient des titres comme « Le programme de gouvernorat au cinquième siècle » et « L’essor des plantations skaa ». Elle feuilleta le livre jusqu’au bout, supposant que ce serait plus intéressant. Le dernier chapitre s’intitulait « Structure politique actuelle ».

Jusqu’ici, lut-elle, le système de plantations a produit un gouvernement plus stable que les méthodologies précédentes. La structure des Dominats, où le lord de chaque province prend le commandement – et la responsabilité – de ses skaa a favorisé un environnement de compétition dans lequel la discipline est maintenue strictement.

Ce système semble inquiéter le Seigneur Maître en raison de la liberté qu’il confère aux aristocrates. Toutefois, la relative absence de rébellion organisée est indubitablement séduisante ; depuis deux cents ans que ce système est en place, il n’y a pas eu de soulèvement majeur dans les Cinq Dominais Internes.

Bien entendu, ce système politique n’est qu’une extension d’un règne théocratique plus vaste. L’indépendance de l’aristocratie a été tempérée par la vitalité renouvelée du système d’obligateurs. Aucun lord, de si haut rang soit-il, n’a intérêt à se croire au-dessus de leur loi. N’importe qui peut recevoir la visite d’un Inquisiteur.

Vin fronça les sourcils. Malgré l’aridité du texte lui-même, elle s’étonna que le Seigneur Maître autorise qu’on parle de son empire en termes si analytiques. Elle se laissa aller en arrière sur sa chaise, livre en main, mais ne poursuivit pas sa lecture. Elle était trop épuisée par les heures passées à tenter de soutirer discrètement des informations à ses partenaires de danse.

Malheureusement, la politique ne tenait pas compte de son état de fatigue. Malgré ses efforts pour paraître absorbée par le livre d’Elend, elle vit bientôt une silhouette approcher de sa table.

Vin soupira et se prépara mentalement pour une autre danse. Elle comprit bientôt que le nouveau venu n’était pas un noble, mais un intendant terrisien. Comme Sazed, il portait une robe composée de « V » qui se chevauchaient et appréciait beaucoup les bijoux.

— Lady Valette Renoux ? demanda l’homme de haute taille teintée d’un léger accent.

— Oui, répondit Vin, hésitante.

— Ma maîtresse, lady Shan Elariel, réclame votre présence à sa table.

Réclame ? songea Vin. Pour commencer, elle n’appréciait pas ce ton, et ne souhaitait guère rencontrer l’ancienne fiancée d’Elend. Malheureusement, la Maison Elariel était l’une des plus puissantes des Grandes Maisons – ce n’était donc sans doute pas quelqu’un qu’on pouvait se contenter d’ignorer.

Le Terrisien attendait avec une impatience contenue.

— Très bien, dit Vin en se levant avec toute la grâce dont elle était capable.

Le Terrisien conduisit Vin jusqu’à une table située non loin de la sienne. Elle était bien remplie, occupée par cinq femmes, et Vin identifia Shan immédiatement. Lady Elariel était de toute évidence la femme sculpturale aux longs cheveux sombres. Bien qu’elle ne participe pas à la conversation, elle paraissait malgré tout la dominer. Ses bras scintillaient de bracelets lavande assortis à sa robe, et elle tourna vers Vin des yeux dédaigneux lorsqu’elle approcha.

Mais ces yeux sombres étaient perçants. Vin se sentait dénudée devant eux – dépouillée de sa jolie robe, réduite une fois de plus à l’état de gosse des rues crasseuse.

— Veuillez nous excuser, mesdames, déclara Shan.

Les femmes lui obéirent aussitôt et quittèrent la table avec diligence et majesté.

Shan s’empara d’une fourchette et entreprit de disséquer méticuleusement un petit morceau de gâteau pour l’engloutir. Vin resta immobile, ne sachant trop que faire, tandis que l’intendant terrisien allait se placer derrière la chaise de Shan.

— Vous pouvez vous asseoir, dit celle-ci.

J’ai l’impression de redevenir une skaa, songea Vin tout en s’asseyant. Les nobles se traitent-ils tous comme ça entre eux ?

— Vous vous trouvez dans une position enviable, jeune fille, lui lança Shan.

— Dans quelle mesure ? demanda Vin.

— Adressez-vous à moi en m’appelant « lady Shan », dit Shan, toujours sur le même ton. Ou peut-être madame.

Shan attendit d’un air impatient tout en mangeant son gâteau à minuscules bouchées. Enfin, Vin répondit :

— Pourquoi donc, madame ?

— Parce que le jeune lord Venture a décidé de vous intégrer à ses jeux. Ce qui vous fournit également l’occasion d’être utilisée par moi.

Vin fronça les sourcils. N’oublie pas de rester dans la peau du personnage. Tu es Valette, qui se laisse facilement intimider.

— Ne vaudrait-il mieux ne pas être utilisée du tout, madame ? demanda prudemment Vin.

— Ne dites pas de bêtises, répliqua Shan. Même une nigaude inculte comme vous doit bien comprendre qu’il est capital de se rendre utile auprès des autres.

Shan avait prononcé ces mots, insulte comprise, sans la moindre véhémence ; elle paraissait simplement partir du principe que Vin partagerait son avis.

Vin s’assit, sidérée. Aucun des autres nobles ne l’avait traitée ainsi. Mais bien sûr, elle n’avait rencontré qu’Elend jusqu’à présent qui soit membre d’une Grande Maison.

— Je déduis de votre regard ahuri que vous acceptez votre place, dit Shan. Comportez-vous bien, jeune fille, et je vous laisserai peut-être intégrer ma suite. Vous pourriez apprendre beaucoup des dames de Luthadel.

— Par exemple ? demanda Vin en s’efforçant de chasser toute brusquerie de sa voix.

— Regardez-vous à l’occasion, jeune fille. Vos cheveux donnent l’impression que vous sortez d’une longue maladie, et vous êtes tellement maigre que votre robe pend comme un sac. Être une femme noble à Luthadel exige… la perfection. Et certainement pas ça.

Elle avait prononcé ce dernier mot tout en désignant Vin d’un geste dédaigneux.

Vin rougit. L’attitude humiliante de cette femme possédait un étrange pouvoir. Vin se rendit compte, surprise, que Shan lui rappelait certains chefs de bande qu’elle avait connus, dont Camon était le dernier en date – des hommes capables de frapper quelqu’un sans attendre la moindre résistance. Tout le monde savait que résister à ces gens-là ne servait qu’à les faire redoubler de violence.

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda Vin.

Shan haussa un sourcil tout en reposant sa fourchette, laissant son gâteau à demi entamé. Le Terrisien lui prit son assiette et s’éloigna.

— Vous avez vraiment l’esprit limité, dites-moi, lança Shan.

Vin hésita.

— Qu’est-ce que madame attend de moi ?

— Je finirai bien par vous le dire – à supposer que lord Venture décide de continuer à jouer avec vous.

Vin entrevit un éclat furtif de haine au fond de ses yeux quand elle mentionna Elend.

— Pour l’heure, poursuivit Shan, parlez-moi de votre conversation avec lui ce soir.

Vin ouvrit la bouche pour répondre. Mais… quelque chose ne tournait pas rond. Elle ne le perçut que très vaguement – et n’aurait sans doute rien remarqué sans la formation de Brise.

Une Apaiseuse ? Intéressant.

Shan s’efforçait de rendre Vin un peu plus satisfaite d’elle-même. Afin de la faire parler, peut-être ? Vin entreprit de relater sa conversation avec Elend en laissant de côté tout ce qu’il pouvait y avoir d’intéressant. Cependant, elle éprouvait toujours une impression d’anomalie – liée à la façon dont Shan jouait avec ses émotions. Du coin de l’œil, Vin entrevit le Terrisien de Shan en train de revenir des cuisines. Mais il ne regagnait pas la table de Shan – il marchait dans l’autre direction.

Vers la table de Vin. Il s’y arrêta et se mit à fouiner parmi les livres d’Elend.

Quoi qu’il puisse bien vouloir, je ne peux pas le laisser le trouver.

Vin se releva soudain, provoquant enfin une franche réaction de la part de Shan qui leva des yeux surpris.

— Je viens de me rappeler que j’avais dit à mon Terrisien de me retrouver à ma table ! déclara Vin. Il va s’inquiéter s’il ne m’y trouve pas !

— Au nom du Seigneur Maître, jeune fille, marmonna Shan à mi-voix, ce n’est pas la peine de…

— Je suis désolée, madame, répondit Vin, il faut que j’y aille.

Un peu trop évident, mais c’était le mieux qu’elle puisse faire. Avec une révérence, Vin quitta la table de Shan, laissant seule l’aristocrate contrariée. Le Terrisien était doué – Vin ne s’était éloignée que de quelques pas de la table de Shan lorsqu’il la remarqua et reprit son trajet avec une incroyable fluidité.

En regagnant sa table, Vin se demanda si elle avait commis un impair en quittant Shan aussi brusquement. Mais elle commençait à être trop fatiguée pour s’en soucier. Lorsqu’elle remarqua un autre groupe de jeunes hommes en train de la regarder, elle s’empressa de s’asseoir et d’ouvrir l’un des livres d’Elend.

Heureusement, le stratagème fonctionna mieux cette fois-ci. Les jeunes hommes finirent par s’éloigner en laissant Vin en paix et elle se détendit dans son siège, le livre ouvert devant elle. Il commençait à se faire tard et la salle de bal se vidait lentement.

Les livres, songea-t-elle en fronçant les sourcils et en buvant une gorgée de sa coupe de jus de fruits. Qu’est-ce que ce Terrisien leur voulait ?

Elle balaya la table du regard, s’efforçant de remarquer si l’on avait dérangé quoi que ce soit, mais Elend avait laissé les livres dans un tel désordre qu’il était difficile de s’en rendre compte. Toutefois, un petit livre posé en dessous d’un autre volume attira son attention. La plupart des autres textes étaient ouverts à une page bien précise, et elle avait vu Elend les parcourir attentivement. Mais celui-ci était fermé – et elle ne se rappelait pas l’avoir vu l’ouvrir. Comme il se trouvait là précédemment – elle le reconnaissait car il était nettement plus mince que les autres – elle savait que ce n’était pas le Terrisien qui l’avait laissé là.

Curieuse, Vin tendit la main pour faire glisser le livre de dessous le volume plus gros. Il avait eu une couverture de cuir noir, et la tranche annonçait Schémas climatiques du Dominât Boréal. Vin fronça les sourcils tout en retournant le livre entre ses mains. Il n’y avait ni page de titre, ni de nom d’auteur. Il commençait directement par du texte :

 

Si l’on considère l’Empire Ultime dans sa globalité, une certitude est indéniable. Pour une nation dirigée par une divinité autoproclamée, l’empire a subi un nombre effrayant de monstrueuses erreurs de gouvernement. La plupart ont été camouflées avec succès, et il n’en subsiste de traces que dans les cerveaux métalliques des ferrochimistes ou dans les pages des textes interdits. Cependant, il suffit de se pencher sur le passé proche pour remarquer des bourdes telles que le Massacre de Devanex, la révision de la Doctrine de l’Insondable, et la relocalisation des peuples de Renates.

Le Seigneur Maître ne vieillit pas. Ce fait-là, au moins, est indéniable. Mais ce texte vise à prouver qu’il n’est nullement infaillible. Lors des jours précédant l’Ascension, l’humanité a souffert du chaos et de l’incertitude engendrés par un cycle interminable de rois, d’empereurs et d’autres monarques. On pourrait penser que désormais, avec un unique gouverneur immortel, la société trouverait enfin la stabilité et l’illumination. La remarquable absence de ces deux attributs au sein de l’Empire Ultime est l’omission la plus grave du Seigneur Maître.

 

Vin regarda fixement la page. Malgré l’hermétisme de certains de ces mots, elle comprenait ce que voulait dire l’auteur. Il affirmait…

Elle referma brusquement le livre et s’empressa de le remettre en place. Que se produirait-il si les obligateurs découvraient qu’Elend possédait un texte semblable ? Elle jeta des coups d’œil sur les côtés. Ils étaient là, bien sûr, se mêlant à la foule comme à tous les autres bals, désignés par leur robe grise et leur visage tatoué. Beaucoup étaient assis à des tables occupées par des nobles. Étaient-ils leurs amis ? Ou jouaient-ils les espions pour le compte du Seigneur Maître ? Personne ne semblait tout à fait à l’aise à proximité d’un obligateur.

Mais que fait Elend avec un livre comme celui-là ? Un noble puissant comme lui ? Pourquoi lirait-il des textes qui calomnient le Seigneur Maître ?

Une main tomba sur son épaule et Vin pivota par réflexe, attisant cuivre et potin dans son estomac.

— Holà, dit Elend en reculant et en levant la main. Vous a-t-on déjà fait remarquer à quel point vous êtes nerveuse, lady Valette ?

Vin se détendit sur son siège et éteignit ses métaux. Elend retourna nonchalamment s’asseoir à sa place.

— Heberen vous plaît ?

Comme Vin fronçait les sourcils, Elend désigna le livre plus gros et plus épais, toujours posé devant elle.

— Non, répondit Vin. C’est ennuyeux. Je faisais seulement semblant de lire pour que les hommes me laissent un peu tranquille.

Elend gloussa de rire.

— Eh bien, voyez, vos traits d’esprit vous reviennent en pleine figure.

Vin haussa un sourcil tandis qu’Elend entreprenait de rassembler ses livres pour les entasser sur la table. Il ne fit pas mine de remarquer qu’elle avait déplacé l’ouvrage sur les « conditions climatiques » mais le glissa soigneusement au milieu de la pile.

Vin détourna les yeux du livre. Je ferais sans doute mieux de ne pas lui parler de Shan – pas avant de m’être entretenue avec Sazed.

— Je crois que mon esprit m’a été plutôt utile, répondit-elle. Après tout, moi, je suis venue à ce bal pour danser.

— Je trouve la danse très surestimée.

— Vous ne pouvez pas vous tenir éternellement à l’écart de la cour, lord Venture – vous êtes l’héritier d’une très importante maison.

Il soupira, s’étira et se laissa aller sur son siège.

— Vous avez sans doute raison, répondit-il avec une étonnante franchise. Mais plus je résiste, plus mon père sera contrarié. Ce qui est un but louable en soi.

— Il n’est pas la seule personne que vous blessez, répondit Vin. Et les filles qui ne se font jamais inviter à danser parce que vous êtes trop occupé à fouiller dans vos livres ?

— Pour autant que je me rappelle, dit Elend, posant le dernier livre au sommet de sa pile, je viens de voir une certaine personne faire semblant de lire pour éviter de danser. Je crois que les dames n’ont aucun mal à trouver des partenaires plus accommodants que moi.

Vin haussa un sourcil.

— Je n’ai pas eu de mal parce que je suis nouvelle et de bas rang. J’imagine que les dames plus proches de votre statut ont du mal à trouver des partenaires, amicaux ou non. J’ai cru comprendre que les hommes de la noblesse n’apprécient guère de danser avec des dames de rang plus élevé que le leur.

Elend hésita, cherchant visiblement une repartie. Vin se pencha vers lui.

— Qu’y a-t-il, Elend Venture ? Pourquoi faire tant d’efforts pour échapper à vos devoirs ?

— Mes devoirs ? répéta Elend en se penchant vers elle, l’expression sincère. Valette, il n’est pas question de devoir. Ce bal… tout ici n’est qu’un ramassis d’ineptie et de distraction. Une perte de temps.

— Et les femmes ? demanda Vin. Elles aussi, c’est une perte de temps ?

— Les femmes ? répéta Elend. Les femmes sont comme… des orages. Magnifiques à observer, et parfois agréables à écouter – mais la plupart du temps, elles sont tout simplement importunes.

Vin sentit sa mâchoire s’affaisser légèrement. Puis elle remarqua l’étincelle dans son regard, le sourire aux coins de ses lèvres, et se surprit à sourire elle aussi.

— Vous dites ces choses-là rien que pour me provoquer !

Le sourire d’Elend s’élargit.

— Que voulez-vous, je suis un charmeur. (Il se leva et la regarda d’un air affectueux.) Ah, Valette. Ne les laissez pas vous pousser à vous prendre au sérieux. Ça n’en mérite pas l’effort. Sur ce, je dois vous souhaiter une bonne nuit. Tâchez de ne pas laisser plusieurs mois s’écouler entre les bals auxquels vous assisterez, à l’avenir.

Vin sourit.

— J’y réfléchirai.

— S’il vous plaît, répondit Elend en se penchant pour soulever la grande pile de livres de la table. (Il vacilla un moment, puis retrouva son équilibre et jeta un coup d’œil sur le côté.) Qui sait – peut-être qu’un de ces jours, vous arriverez vraiment à me faire danser.

Vin sourit et hocha la tête tandis que l’aristocrate se retournait puis s’éloignait en contournant le deuxième gradin de la salle de bal. Il fut bientôt rejoint par deux autres jeunes hommes. Vin les observa, curieuse, tandis que l’un d’eux assenait une tape amicale sur l’épaule d’Elend, puis lui prenait la moitié des livres. Ensuite, ils se mirent tous trois en marche tout en bavardant.

Vin ne reconnut pas les nouveaux arrivants. Elle était assise, songeuse, lorsque Sazed sortit enfin d’un couloir latéral ; Vin lui fit impatiemment signe d’approcher. Il la rejoignit d’un pas pressé.

— Qui sont ces hommes qui accompagnent lord Venture ? demanda-t-elle en désignant Elend.

Sazed plissa les yeux derrière ses lunettes.

— Eh bien… l’un d’entre eux est lord Jastes Lekal. L’autre est un Hasting, mais j’ignore son prénom.

— Vous paraissez surpris.

— Les Maisons Lekal et Hasting sont des rivales politiques de la Maison Venture, Maîtresse. Les nobles se retrouvent souvent lors de petites fêtes après le bal, afin de conclure des alliances… (Le Terrisien s’interrompit et se retourna vers elle.) Maître Kelsier voudra en entendre parler, je crois. Il est temps de nous retirer.

— Je suis bien d’accord, répondit Vin en se levant. Et mes pieds aussi. Allons-y.

Sazed hocha la tête et ils se dirigèrent vers les portes d’entrée.

— Pourquoi avez-vous tellement tardé ? demanda Vin tandis qu’ils attendaient qu’un serviteur leur rapporte son châle.

— Je suis revenu plusieurs fois, Maîtresse, répondit Sazed. Mais vous étiez toujours occupée à danser. J’ai décidé que je me rendrais bien plus utile en allant parler aux serviteurs qu’en restant planté près de votre table.

Vin hocha la tête, reprit son châle puis sortit et descendit l’escalier tapissé, Sazed sur les talons. Elle marchait d’un pas vif – elle voulait rentrer informer Kelsier des noms qu’elle avait mémorisés avant d’oublier toute la liste. Elle s’arrêta au bas de l’escalier et attendit qu’un serviteur aille chercher sa voiture. Pendant ce temps, elle remarqua quelque chose de curieux. Elle entendit du bruit un peu plus loin parmi les brumes. Elle s’avança, mais Sazed lui posa une main sur l’épaule pour la retenir. Une dame ne s’aventurerait pas dans les brumes.

Elle voulut brûler du cuivre et de l’étain, mais attendit – le bruit approchait. Un garde sortit des brumes en traînant une petite silhouette qui se débattait : un jeune skaa aux vêtements sales et au visage noir de suie. Le soldat garda une distance respectueuse par rapport à Vin et s’excusa d’un hochement de tête tandis qu’il approchait de l’un des capitaines de la garde. Vin brûla de l’étain pour entendre leur échange.

— Un garçon de cuisine, dit calmement le soldat. Il a essayé de mendier de l’argent à l’un des nobles à l’intérieur d’une voiture qui venait de s’arrêter pour l’ouverture des portes.

Le capitaine se contenta de hocher la tête. Le soldat entraîna de nouveau son captif dans les brumes pour rejoindre l’autre bout de la cour. Le garçon se débattait et le soldat poussait des grognements agacés tout en conservant une emprise ferme. Vin le regarda s’éloigner, la main de Sazed sur son épaule, comme s’il cherchait à la retenir. Bien entendu, elle ne pouvait pas venir en aide à ce garçon. Il n’aurait pas dû…

Au cœur des brumes, à l’abri du regard des gens ordinaires, le soldat tira un poignard et trancha la gorge du jeune garçon. Vin sursauta, choquée, tandis que les bruits de lutte s’estompaient peu à peu. Le garde laissa tomber le corps, puis le saisit par une jambe et entreprit de le traîner.

Vin resta plantée là, hébétée, tandis que sa voiture s’arrêtait devant elle.

— Maîtresse, lui lança Sazed, mais elle ne bougea pas.

Ils l’ont tué, se dit-elle. Juste ici, à quelques pas de l’endroit où les nobles attendent leur voiture. Comme si… cette mort n’avait rien qui sorte de l’ordinaire. Rien qu’un skaa de plus qu’on massacre. Comme un animal.

Ou moins qu’un animal. Personne ne massacrerait des cochons dans la cour d’un bastion. La posture du garde, tandis qu’il avait exécuté ce meurtre, indiquait qu’il était simplement trop agacé par la façon dont le garçon se débattait pour chercher un lieu plus adéquat. Si un seul des autres nobles entourant Vin avait remarqué l’événement, ils n’y prêtèrent pas attention et continuèrent à bavarder tout en patientant. En réalité, ils paraissaient même un peu plus bavards maintenant que les hurlements avaient cessé.

— Maîtresse, répéta Sazed en la poussant à avancer.

Elle se laissa mener dans la voiture, l’esprit toujours ailleurs. Ce contraste lui paraissait totalement impossible. La noblesse distinguée qui dansait, à l’intérieur d’une pièce scintillant de lumières et de robes. La mort dans cette cour. Ne s’en souciaient-ils pas ? N’en savaient-ils rien ?

C’est l’Empire Ultime, Vin, se dit-elle tandis que la voiture se mettait en route. N’oublie pas la cendre simplement parce que tu vois un peu de soie. Si ces gens, à l’intérieur, savaient que tu es skaa, ils te feraient massacrer aussi facilement que ce pauvre garçon.

Voilà qui lui donnait à réfléchir – et l’absorba pendant tout le trajet du retour à Fellise.

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